Analyse d’une séquence :

Mon Oncle d’Amérique

d’Alain Resnais

René Ragueneau, Mr Louis, Léon Veestrate

 

Monsieur Louis, le patron (au centre en costume sombre), s’adresse à René (G. Depardieu) :

Monsieur Veestrate exerce chez Lacaune à peu près les mêmes fonctions que vous-même chez nous. Nous voudrions que, pendant quelque temps,
il travaille auprès de vous, afin que vous puissiez confronter vos méthodes, procéder à des échanges d’idées, en vue de vous préparer l’un et l’autre pour le jour – plus tellement lointain maintenant – où notre fusion entrera dans les faits…

René est désagréablement surpris. Voyant son trouble et son manque d’initiative, son patron lui vient en aide.

Monsieur Louis :

(…) Si je puis me permettre une suggestion, vous pourriez peut-être commencer par faire visiter nos ateliers à votre collègue.

Dès le début, se profile la figure du double, par de nombreuses similitudes chez les deux personnages. Les deux hommes, en miroir, ont le même statut professionnel. Ils occupent en effet des fonctions identiques chacun dans son entreprise du domaine du textile.

René Ragueneau, Léon Veestrate

René Ragueneau :

Si vous voulez bien me suivre, Monsieur Veestrate.

René Ragueneau (Gérard Depardieu) ouvre la porte et sort, suivi de près par Léon Veestrate (Gérard Darrieu). René ouvre la voie car il est le maître des lieux et de la situation. On remarque bien la similitude de taille et de corpulence de René et de Léon. 

René précède Veestrate. Ils avancent dans la cour de l’usine.

René se retourne, regarde Veestrate qui le suit, puis copie Veestrate: comme lui, il met ses bras dans le dos. Le choix des costumes des deux personnages n’a pas été non plus laissé au hasard: ils portent tous les deux des costumes beiges, des chemises blanches et des cravates sombres.

Ils entrent dans le hangar où sont entassées de grosses balles de coton.

Veestrate (faisant la moue) :

Pourquoi disposez-vous les marchandises comme ça?

Devant le silence de René qui ne peut expliquer son modèle de stockage, Veestrate parcourt des yeux le plafond du hangar.

Veestrate (étonné) :

Vous n’avez pas de pont roulant?

René ne répond pas. René révèle ici, une fois encore, son embarras, ses points faibles… Il est «collé» à chaque question qui lui est posée.

René (fuyant) :

Venez voir le bobinage et l’encollage.

René, malgré ses points faibles, mène encore la visite et passe devant Veestrate.

C’est entre ces deux plans que la situation bascule en faveur de Veestrate. Ce dernier n’est plus derrière René. Il a pris le contrôle et mène désormais la visite. Veestrate, étranger à l’entreprise, est désormais sûr de lui. Il marche devant René dans l’atelier de bobinage. René, perturbé, est dépassé par son rival. Mais Veestrate n’en reste pas là, il continue à interroger René.

Veestrate :

Vous ne connaissez pas les modèles italiens entièrement automatiques?

René :

Si, naturellement. Mais on m’a dit que c’était fragile, que ça se dérègle tout le temps…

René, contrarié, apporte une réponse approximative basée sur des «on dit que…». Il révèle ici, une fois encore, son retard dans la modernisation des différents ateliers. Dès à présent, apparaissent des scènes qui se recoupent, s’inversent, se renvoient l’une à l’autre (René devant – Veestrate derrière / Veestrate devant – René derrière). Remarquons au passage leur similitude vestimentaire : leurs vestes sont toutes les deux boutonnées de la même manière.

Veestrate est devant René.

Veestrate (interrompant et n’écoutant plus l’argumentationde René) :

Allons voir l’encollage.

Veestrate est toujours devant René. René suit Veestrate. Veestrate continue à diriger la visite. Cette scène renvoie, fait écho et se distingue de la situation du quatrième photogramme où René proposait d’aller voir le bobinage et l’encollage. Entre les deux étapes, René s’est fait, si l’on peut dire, «embobiner».

Veestrate, qui précède René, se retourne.

Veestrate (autoritaire) :

Quelle est la fréquence de vos contrôles de production?

René :

Euh… chaque mois…

Veestrate (déterminé) :

Maintenant nous ne travaillerons plus à la commande mais sur un programme annuel. Ca oblige à planifier la production, il faudra un contrôle quotidien.

René :

Comment? Tous les jours?

Veestrate :

Oui, au moins au départ…

Veestrate utilise maintenant le «nous», ce qui nous montre qu’il se substitue à René et s’approprie la direction du secteur dirigé jusqu’ici par René. Veestrate impose à toute l’entreprise et aux ateliers qui sont sous la responsabilité de René un changement brutal dans le programme de la planification et de la production. René ne réagit pas. Veestrate est désormais le maître… cela annonce le licenciement futur de René…

Veestrate fait demi-tour, tournant ainsi le dos à René. Il précède ce dernier d’un pas décidé sans attendre René. René suit…

En conclusion

Par le choix des mots dans les dialogues, l’attention portée aux déplacements des protagonistes, le souci donné à la physionomie des acteurs, jusqu’à l’habillement et
l’importance de la couleur de leurs vêtements, enfin par la précision de leur gestuelle, nous avons pu observer le travail tout en finesse du metteur en scène.
Cette séquence, comme plusieurs autres dans le film, est construite sur le schéma suivant, celui de tout scénario : une scène d’exposition (la présentation des personnages dans une situation stable), un incident déclencheur ou élément perturbateur (l’arrivée de Veestrate, le rival de René) qui va déboucher sur un enjeu (il ne devra rester au final qu’un responsable des ateliers: René ou Veestrate), une source de conflits (la compétition, la lutte amorcée dans cette séquence), des tensions (une déstabilisation du quotidien de René) et enfin un dénouement, la résolution (René va perdre peu à peu le pouvoir qu’il avait dans son entreprise).
Cette séquence annonce ce que des séquences ultérieures, celle dans le bureau de René et celle du repas chez René confirmeront. En effet, nous assistons ici à la mise
en place du conflit qui va opposer René à Veestrate , premier duel d’une série, qui s’inscrit dans un processus, celui qui aboutira, petit à petit, à la prise de pouvoir de
Veestrate et finalement au licenciement de René. 

Analyse d’une séquence de Mon Oncle d’Amérique d’Alain Resnais

René Ragueneau, Mr Louis, Léon Veestrate

Monsieur Louis, le patron (au centre en costume sombre), s’adresse à René (G. Depardieu) :
Monsieur Veestrate exerce chez Lacaune à peu près les mêmes fonctions que vous-même chez nous. Nous voudrions que, pendant quelque temps,
il travaille auprès de vous, afin que vous puissiez confronter vos
méthodes, procéder à des échanges d’idées, en vue de vous préparer l’un et l’autre pour le jour – plus tellement lointain maintenant – où notre fusion entrera dans les faits…

René est désagréablement surpris. Voyant son trouble et son manque d’initiative, son patron lui vient en aide.

Monsieur Louis :
(…) Si je puis me permettre une suggestion, vous pourriez peut-être commencer par faire visiter nos ateliers à votre collègue.

Dès le début, se profile la figure du double, par de nombreuses similitudes chez les deux personnages. Les deux hommes, en miroir, ont le même statut professionnel. Ils occupent en effet des fonctions identiques chacun dans son entreprise du domaine du textile.

René Ragueneau, Léon Veestrate

René Ragueneau :
Si vous voulez bien me suivre, Monsieur Veestrate.

René Ragueneau (Gérard Depardieu) ouvre la porte et sort, suivi de près par Léon Veestrate (Gérard Darrieu). René ouvre la voie car il est le maître des lieux et de la situation. On remarque bien la similitude de taille et de corpulence de René et de Léon. 

René précède Veestrate. Ils avancent dans la cour de l’usine.

René se retourne, regarde Veestrate qui le suit, puis copie Veestrate: comme lui, il met ses bras dans le dos. Le choix des costumes des deux personnages n’a pas été non plus laissé au hasard: ils portent tous les deux des costumes beiges, des chemises blanches et des cravates sombres.

Ils entrent dans le hangar où sont entassées de grosses balles de coton

Veestrate (faisant la moue) :
Pourquoi disposez-vous les marchandises comme ça?

Devant le silence de René qui ne peut expliquer son modèle de stockage, Veestrate parcourt des yeux le plafond du hangar.

Veestrate (étonné) :
Vous n’avez pas de pont roulant?

René ne répond pas. René révèle ici, une fois encore, son embarras, ses points faibles… Il est «collé» à chaque question qui lui est posée.

René (fuyant) :
Venez voir le bobinage et l’encollage.

René, malgré ses points faibles, mène encore la visite et passe devant Veestrate.

C’est entre ces deux plans que la situation bascule en faveur de Veestrate. Ce dernier n’est plus derrière René. Il a pris le contrôle et mène désormais la visite. Veestrate, étranger à l’entreprise, est désormais sûr de lui. Il marche devant René dans l’atelier de bobinage. René, perturbé, est dépassé par son rival. Mais Veestrate n’en reste pas là, il continue à interroger René.

Veestrate :
Vous ne connaissez pas les modèles italiens entièrement automatiques?

René :
Si, naturellement. Mais on m’a dit que c’était fragile, que ça se dérègle tout le temps…

René, contrarié, apporte une réponse approximative basée sur des «on dit que…». Il révèle ici, une fois encore, son retard dans la modernisation des différents ateliers. Dès à présent, apparaissent des scènes qui se recoupent, s’inversent, se renvoient l’une à l’autre (René devant – Veestrate derrière / Veestrate devant – René derrière). Remarquons au passage leur similitude vestimentaire : leurs vestes sont toutes les deux boutonnées de la même manière.

Veestrate est devant René.

Veestrate (interrompant et n’écoutant plus l’argumentation de René) :

Allons voir l’encollage.

Veestrate est toujours devant René. René suit Veestrate. Veestrate continue à diriger la visite. Cette scène renvoie, fait écho et se distingue de la situation du quatrième photogramme où René proposait d’aller voir le bobinage et l’encollage. Entre les deux étapes, René s’est fait, si l’on peut dire, «embobiner».

Veestrate, qui précède René, se retourne.

Veestrate (autoritaire) :
Quelle est la fréquence de vos contrôles de production?

René :
Euh… chaque mois…

Veestrate (déterminé) :
Maintenant nous ne travaillerons plus à la commande mais sur un programme annuel. Ca oblige à planifier la production, il faudra un contrôle quotidien.

René :
Comment? Tous les jours?

Veestrate :
Oui, au moins au départ…

Veestrate utilise maintenant le «nous», ce qui nous montre qu’il se substitue à René et s’approprie la direction du secteur dirigé jusqu’ici par René. Veestrate impose à toute l’entreprise et aux ateliers qui sont sous la responsabilité de René un changement brutal dans le programme de la planification et de la production. René ne réagit pas. Veestrate est désormais le maître… cela annonce le licenciement futur de René… 

Veestrate fait demi-tour, tournant ainsi le dos à René. Il précède ce dernier d’un pas décidé sans attendre René. René suit…

En conclusion

Par le choix des mots dans les dialogues, l’attention portée aux déplacements des protagonistes, le souci donné à la physionomie des acteurs, jusqu’à l’habillement et
l’importance de la couleur de leurs vêtements, enfin par la précision de leur gestuelle, nous avons pu observer le travail tout en finesse du metteur en scène.
Cette séquence, comme plusieurs autres dans le film, est construite sur le schéma suivant, celui de tout scénario : une scène d’exposition (la présentation des personnages dans une situation stable), un incident déclencheur ou élément perturbateur (l’arrivée de Veestrate, le rival de René) qui va déboucher sur un enjeu (il ne devra rester au final qu’un responsable des ateliers: René ou Veestrate), une source de conflits (la compétition, la lutte amorcée dans cette séquence), des tensions (une déstabilisation du quotidien de René) et enfin un dénouement, la résolution (René va perdre peu à peu le pouvoir qu’il avait dans son entreprise).
Cette séquence annonce ce que des séquences ultérieures, celle dans le bureau de René et celle du repas chez René confirmeront. En effet, nous assistons ici à la mise en place du conflit qui va opposer René à Veestrate, premier duel d’une série, qui s’inscrit dans un processus, celui qui aboutira, petit à petit, à la prise de pouvoir de
Veestrate et finalement au licenciement de René.